« Rose, parle-moi. » Elle ne détourne même pas le regard. Concentré sur le pelage de son étalon noir, elle n’arrive pas à se défaire de la douceur de sa robe. Elle craint le regard qu’elle trouvera en se tournant. Elle sait qu’il est là. Elle a envie de pleurer, mais elle ne peut pas. Elle est censée être puissante et forte, comme le reste de sa famille. Elle est la faille, la faiblesse, la jeune Rose qui pleure sur son sort et qui s’effondre. Elle n’est pas aussi forte que les autres. Et elle sait. Aujourd’hui, elle sait. Elle a appris la vérité, tous ses murmures au détour d’un couloir. Toutes ses peurs avaient été vérités. Elle va quitter ses terres, bientôt. Elle va trouver un grand désert inconnu qu’elle craint. Elle va épouser un homme qu’elle ne connait pas. Elle a peur.
« Laisse-moi Iléon. » Elle renifle et passe la paume de sa main sur ses joues. Elle refuse de se laisser abattre. Elle ne devrait pas. Elle n’a pas le droit, elle est une princesse, une force et une puissance aux yeux des autres. Elle doit montrer l’exemple. Pas s’apitoyer sur son sort. Elle sentie la poigne du jeune homme sur son poignet, mais elle n’était pas capable de le regarder dans les yeux. Elle tente de se détacher, elle veut retirer son corps de la force de son frère, mais elle en est incapable. Lorsqu’il la retourne vers lui, elle se réfugie dans ses bras et elle éclate. De nouveau, elle se brise, elle ne peut s’empêcher de laisser les larmes se déversées sur ses joues.
Elle est indomptable.
Elle est souffrance.
Elle se meurt.
« Hé, je suis là. J’vais t’aider Rosie. Calme toi s’il te plait. » Il pose son menton sur la tête de sœur. Iléon, il est pas censé la consoler. C’est elle la grande, l’ainé entre les deux. Et pourtant, dans le cœur, la maturité, Iléon a toujours réussi à la dépasser. Il est l’un de ses préférés. Le second dans son âme. Lui aussi, il sait servi en elle. Rosie, elle a été obligée de lui offrir une part d’elle-même. Elle la protégée dès les premiers instants lorsqu’elle a compris que sa mère ne le ferait pas. Que personne ne ferait attention au sixième. Alors, elle, elle a pris le rôle à cœur. Elle sait conduite comme une mère. Mais très vite, elle sait ravisée et elle sait excuser. Il était son frère. La même chair, le même sang. Elle n’arrivait pas à jouer le rôle qu’on lui demandait, alors elle se contentait de le protéger. Aujourd’hui, c’est à son tour. Il ne la jamais vu comme sa Rosie. D’habitude, elle est si joyeuse sa belle Rosie. Mais depuis que Revan est parti, elle s’assombrit. Elle a laissé tomber l’école de magie. C’est pas dans sa nature, elle qui adore la magie. Elle n’abandonne jamais. Du moins, avant, elle n’aurait pas abandonnée. Pendant des jours, Iléon ne la plus vu. Elle ne souhaitait plus quitter ses appartements et à chaque fois qu’il passait devant, il l’entendait crier sa peine et sa douleur. Il était certain que les larmes étaient devenues une inondation dans la chambre. Et il n’avait eu le courage de frapper, et lui tendre les bras.
Et quand il y a eu cette nouvelle réunion entre tous les membres Rhagon, déjà, l’absence de leur frère avait affecté la belle rousse. Mais le pire ce fut cette annonce. Cette bombe, cette explosion de douleur dans l’être de sa sœur.
Elle avait été brisée une première fois.
Elle aurait pu être recollée.
Elle avait été brisée une seconde fois.
Elle ne pourra plus jamais être recollée.Pourtant, elle avait refusé de quitter la table. Elle avait souri sans rien dire, continuant de déguster les mets présents sur la table. Il était en face d’elle. Il avait sentis ses jambes tremblées. Il avait vu ses mains tendues. Il avait remarqué les larmes dans ses yeux. Mais elle avait tenu bon. Jusqu’à la fin, prouvant ainsi, qu’elle n’était pas une ridicule fleur sur laquelle on posait le pied et sur qui on tirait dessus. Elle était plus que ça. Plus forte.
Alors il la serre contre lui. Elle n’arrive pas à se calmer et comparé à Revan, il n’a pas les mots. Il n’arrive pas à lui dire ce qu’il ressent pour elle. Trop de fierté familiale dans ses veines. Mais il a lui aussi, la gorge nouée. Lui aussi, il souffre de la voir partir loin de lui. Elle l’a élevé. Elle l’a sauvée des autres serpents qui cherchaient à le détruire. Elle avait été sa renaissance.
« Rose. J’vais le trouver. Il va revenir parmi nous avant ton départ. Je te le promets Rosie. Tu le reverras. » Il sait que la relation entre sa sœur et son frère a toujours été spéciale. Il le sait depuis le premier jour, depuis leur premier regard croisé qu’il a découvert. Il avait l’impression de voir le reflet de deux âmes similaires. Un seul et même sourire. Une seule et même vie. Mais Iléon, il a compris qu’eux, ils se rendaient pas compte de tout ça. Alors il a fait attention à eux. De loin, il a protégé Rose dès le départ de son frère. De loin. Sans qu’elle ne le remarque. Il sent qu’elle se détend dans ses bras. Elle soupire, mais ne tremble plus.
« Iléon. T’es pas obligé de faire ça. » Il sourit. Elle le protège, encore et toujours. Mais de son frère ainé, il tient de bonnes qualités d’espions. Il ne craint pas les représailles alors, il n’a pas peur de le faire pour sa sœur.
« Je sais. Mais je vais le faire pour toi, parce que je t’aime Rosie. » On ne se dit pas ses choses là à Alwali. On les garde enfin au fond de son cœur et on évite que cela se découvre. L’attachement, c’est la faiblesse. Mais la famille, c’est la force.
***
« Rose, viens me voir. » Elle sent un frisson la parcourir. Elle sourit rapidement à ses servantes et replace ses cheveux correctement. Elle ne veut pas être une honte. Lorsqu’elle entre dans le bureau de son père, elle remarque son regard inquiet et fatigué. Elle fronce les sourcils, mais ne pose pas de questions. On ne pose pas des questions au Roi.
« Tout va bien ? » Elle sursaute face à sa demande. Elle voudrait dire oui bien sûr. Elle a envie qu’il croit qu’elle gère la situation. Qu’elle ne craint pas lorsque ses vêtements commencent à s’empiler dans une boite en carton. Qu’elle n’a pas peur lorsque Keyna lui demande de lui donner ses bijoux et sa chambre parce qu’elle part. Mais c’est tout le contraire. Elle a peur. Elle a envie de pleurer dans les bras réconfortants de son père comme lorsqu’elle était enfant. Mais au fil du temps qui passe, elle a compris que non, elle n’a plus le droit à ses moments privilégiés avec son paternel. Elle n’était plus la princesse de son père. Elle était une princesse du Sud, et une future dame. Une grande dame. Mais en ce moment, la seule chose dont elle a besoin, c’est les bras de son père. De la chaleur du réconfort. De l’attention, pour une fois. Pour une fois qu’il remarque qu’elle n’est pas Victoire, ni Julian. Que Rose, c’est une princesse entière, et têtue, et aussi, amusante, et parfois même, qui désobéit. Elle veut qu’il remarque qu’elle a grandi sans père. Sans repère parce qu’il était trop occupé à s’occuper des ainés pour l’éducation. Et lorsqu’elle voit ce que l’éducation a fait de Revan, elle le déteste. Non pire, elle hait son père. Elle le hait de favoriser ainsi ses enfants en fonction de leur âge car elle sait qu’elle ou Revan ou Iléon, et encore Keyna, feront de grandes choses, pas juste un mariage, et des héritiers.
« Parfaitement. » Il soupire et détourne le regard. Elle, elle ne le quitte pas des yeux. Elle le sonde, elle l’idéalise, elle se protège.
Elle a juste besoin d’un père.
D’un être sur qui compter.
Un être qui ne l’a pas vendu à un homme.« Ton mariage va bientôt arriver. Évidemment, les festivités se passeront ici. » Évidemment. Elle hausse les épaules. Elle ne va pas se marier. Non elle va fuir. Elle va partir loin d’Alwali comme Revan a pu le faire avant elle. Iléon ne pourra partir parce qu’il tient trop à la benjamine mais un jour, tous les deux, ils rejoindront leurs ainés.
Elle idéalise.
Elle est encore une simple gamine croyant en ses rêves.
***
Elle court plus vite. Elle essaye de fuir. Elle le voit arriver et elle a peur. Elle veut partir. Elle sent sa main autour de son poignet. Elle veut se défaire mais il ne la lâche pas. Il relève brutalement ses jupons et cherche son intimité. Elle hurle. Elle trouve sa main en rempart à sa voix. Elle ne peut rien faire. Elle voit le monde défilé, mais elle ne peut plus bouger. Ca ne dure pas longtemps. Elle cherche à partir mais c'est trop tard.
C’est comme si elle est morte maintenant. C’est sa mère qui la trouve là. Couchée sur le sol, en sang, en larmes. Rose, elle ne réagit plus. Elle n’est plus là Rose. Elle ne voit plus le monde autour d’elle. Elle veut mourir, Rose. La fleur flâne et elle perd trop rapidement ses pétales que d’autres n’ont pas le temps de renaitre entre temps. Elle ne sent plus le temps sur sa joue. Elle ne voit pas les lanternes allumées autour d’elle. Elle ne sent pas les bras forts et puissants de Julian autour de son frêle corps qui la porte loin. Elle ne remarque pas les mains si douces de sa sœur qui tentent d’essuyer les larmes au fur et à mesure que ses dernières coulent. Elle n’arrive pas à s’arrêter. Elle entend juste les pas pressants de Keyna derrière eux, tentant de la rattraper. La fureur d’Iléon est si forte qu’elle sait aussi qu’il est là. Et cette couronne devant elle. Elle reconnait son père. Son protecteur. Elle s’accroche plus fort à la chemise de Julian. Elle étouffe. Où est Lysandre ? Elle ne le remarque pas dans l’attroupement familial. Il lui faut Lysandre. Il lui faut tout le monde. Il lui faut Revan. Où est-il ? Que faisait-il lorsqu’elle était détruire par ses ombres qui se sont introduits dans le château de leur père ? Qui se sont introduits en elle et qui l’ont
brisé.
Elle remarque qu’elle est posée sur le matelas dur. Elle reconnait la chambre parentale, là où les enfants Rhageon n’avaient jamais eu l’autorisation d’entrer. Elle s’accroche aux draps et elle trouve les mains de sa mère. Celle de son père est dans ses cheveux. Elle sait qu’il va la protéger. Qu’il va la venger et qu’il détruira ses ombres. Les larmes se sont arrêtées. Elle n’a plus assez de force pour pleurer.
« Rosie. Je ferais tout pour les retrouver et les tuer. Ceux qui t’ont fait ça… » Sa voix est brisée. Elle n’imagine pas son père avec la voix si déraillé et pourtant. Il n’y arrive pas. Il n’est pas assez fort parce qu’ils ont attaqué sa seule faiblesse. Sa famille.
« Nous allons répondre à Vïn, Conan. Nous acceptons les accords. Nous ne négocions plus. Envoie un courrier à Lysandre. Ils auront la guerre. » Elle n’a jamais entendu parler si durement sa main. Elle ressent une haine si puissante, si insupportable. Elle se rend compte qu’elle sait trompée. Que ce n’est pas son père, la force de la famille, le piller. Non c’est l’ombre derrière lui. Sa mère. Sa douce mère avec ce visage trop souvent souriant, tiré à quatre épingles. Elle n’arrive pas à croire que c’est sa mère qui accepte ses accords. Pour elle. Elle ressent ses tremblements. Elle voudrait s’excuser. Trop fragile.
« Ils… ils ne toucheront plus à un cheveux de mes enfants. De ma fille. Ils n’avaient pas le droit de s’attaquer à elle. A aucun d’entre eux. » Pas de réponse. Un silence pour les entourer. Rose, elle tente de bouger mais elle sent les bras de sa mère sur elle. Comme si elle dormait. Elle commence à ouvrir les yeux. Elle a peur de découvrir le monde. Elle a peur. Elle n’arrive plus à imaginer la vie comme avant. Elle retrouve les pupilles scintillantes de Julian. Le soleil perce sur les draps posés sur elle. Elle a froid pourtant. Elle tremble de tout son corps et elle tente de se cacher encore plus sous ce drap. Julian pose sa main sur le bras de Rose, mais elle a peur. Elle le craint.
« Rose. Rose c’est moi. Julian. Je t’en prie, ne te détourne pas de nous. » Elle se détend. Elle a peur, encore et toujours elle sait, elle aura toujours peur, mais elle ne peut pas s’empêcher de se calmer. Julian. Elle touche sa joue et agrippe à nouveau à lui.
« Je t’en prie. Revan. » Une larme tombe sur l’oreiller. Il comprend. Il sait très bien ce qu’elle lui demande et il dépose un baiser sur sa main.
« Je vais le trouver. Il faut qu’il rentre. Maintenant. Si on avait tous été là, on t’aurait protégé. On a été imprudent. Mais je te le promets Rose. Personne ne touchera à un seul des Rhageon maintenant. » Elle sait qu’il dit la vérité. Elle le croit si fort par l’enivrance de son regard. Il s’éloigne d’elle et elle soupire. C’est fini.
Elle est brisée.
Brisée par l’ombre qui plane sur le royaume du désert.
Brisée par les siens qui n’ont pas vu le danger présent autour d’eux.
Brisée par son frère qui n’était pas là pour la sauver.
Brisée par la peur, qui la fait s’engouffrer un peu plus profondément dans la douleur, la souffrance et la vengeance. Elle est brisée, Rose. Mais elle compte bien se
venger.